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Peindre… exigence ou complaisance ?

Le travail d'un peintre est-il le moyen de sa subsistance, ou celui de son existence ? Dominique Boucher
1 octobre 2003

¨Peindre… exigence ou complaisance ?

Il y a bien longtemps que les primeuristes ont compris que pour vendre leurs fruits et légumes, ils doivent les proposer à l'étalage… uniformes, d'un calibre à faire pâlir la nature, lisses comme les fesses d'un baigneur, plus gorgés que le sein d'une Marianne, sans tavelures ni marbrures, tout aussi colorisés et luisants que les motifs d'une nature morte de Henri-Horace-Rolland Delaporte. Ainsi, pour plaire aux consommateurs, légumiers et fruiticulteurs violent Dame Nature à grand renfort de pesticides, et autres procédés peu catholiques… mais ne plaident-ils pas la légitimité de leur outrage envers la vieille dame ? " C'est ça ! ou mettre la clé sous la porte. Le client, il veut que du beau… se fiche du goût… à croire qu'il a des yeux à la place du palais… plus c'est gros, plus ça brille, plus qu'il est content ! ".

Quelques maraîchers pourtant font de la résistance… parce qu'ils savent qu'il existe toujours de-ci de-là quelques amateurs de bonne chair, ne s'effrayant guère d'une pomme tavelée ou d'une carotte difforme, marques de fabrique, gage de naturel et de tempérament. Ces maraîchers-là, mordus du bel ouvrage, font les délices de ces amateurs-ci, férus de pureté. Et ceux-là n'hésitent pas, au besoin, à diversifier la besogne pour ne pas dépendre du seul fruit de leur culture.

Alors en est-il de la peinture comme du maraîchage ? Des peintres, comme des primeurs ? La peinture doit-elle avant tout pourvoir aux besoins matériels du peintre (au mépris d'une certaine conscience), ou lui permet-elle d'avoir une réalité en tant qu'être pourvu de raison, de sagesse et de sensations (au prix parfois d'une certaine vertu) ?

Il n'est pas question ici de faire l'apologie du peintre maudit, incompris et miséreux de son vivant, puis reconnu comme génie après sa mort et faisant la fortune de ses descendants (ou de ses ayants droit). En effet, rien n'interdit de penser que des peintres, fidèles à leur inspiration et à leur facture, rencontrent leur public et vivent du seul produit de leur création. Néanmoins nous ne pouvons faire l'impasse sur les nombreux peintres dont (pour une raison ou une autre) le travail laisse indifférents critiques, galeristes, public. Et pourtant beaucoup possèdent talent et verve picturale, mais l'osmose ne se produit pas. Quelques uns, découragés, blasés, aigris ou libérés, abandonnent, brûlent pinceaux et toiles, s'en retournent à un monde plus rationnel. Quelques autres persistent et signent, s'entretiennent d'expédients, sans tambour ni trompette menant au bout leur expérience picturale personnelle, et pour lesquels peindre rime avec désir de vivre, et vivre avec plaisir de peindre.

Mais beaucoup donnent dans le primeurisme… Non dénués de technique et de pâte, ces peintres, métierisant leur art et désireux de le monnayer, renoncent à leur propre univers mental et pictural, peignent selon les courants, les vents, la sollicitation… paysageant, naturisant, portraiturant, abstraitisant, conceptualisant les desiderata du consommateur. La qualité du travail fourni n'est pas forcément en cause. D'une main le plus souvent experte, ils œuvrent cependant sans véritable âme, ne sont que des exécuteurs… sans projection ni inspiration personnelles. Et n'est-ce pas là que le bât blesse ? Pas d'inventivité chez ces peintres prestataires de services, pas de conviction, pas de potentiel, l'unique volonté de manufacturer une production picturale pour… se nourrir ; légitime, certes, mais quelle contribution à l'art, dans tout ceci ? Que devient ce moyen communicationnel individuel n'ayant d'autre but que lui-même, ne visant pas l'utile, mais l'expressif ?

Oui, le danger ne vient-il pas de la délitescence du langage picturale ? Depuis quelques années déjà, la peinture est devenue pour une multitude passe-temps par lequel s'exprime un vague désir d'équilibre entre la vie active et la culture de l'esprit. Le matériel s'achète, les ateliers collectifs s'investissent, et entre deux papotages on acquiert quelques notions de composition, de perspective, de la couleur. Et c'est très bien. Vraiment. La peinture n'est pas, ne doit pas être l'apanage d'une élite. Mais il n'y a pas offense à affirmer que "prendre la peinture par ce bout là" ne fait pas forcément de soi un peintre, voire un artiste. Pour d'autres encore la peinture est médecine douce, pansement des petits bobos psychologiques… le stress, les angoisses, la solitude, la recherche d'identité du moi, etc. Et c'est très bien. Vraiment. Ne vaut-il pas mieux une petite auto-prescription d'une heure ou deux dans son petit atelier, plutôt qu'avaler quelque neuroleptique ? Mais y aurait-il offense à affirmer que la peinture n'est pas, ne doit pas être plus le placébo de l'âme que la construction de l'intelligence ? Nous avons enfin la peinture gagne-pain. Pratiquée par nombre de quidams, individus sympathiques, aux allures pittoresques et à la faconde colorée, que l'on rencontre plus particulièrement aux abords des attractions patrimoniales et touristiques. D'une main assurée et les tubes tout dégoulinant, la toile sur les genoux ou adossée au chevalet délibérément maculé, ils fabriquent en deux temps-trois mouvements leur petite œuvre sous l'œil ravi du badaud… déjà prêts, si la vente s'accélère, à sortir des cartons (dissimulés sous l'étal de fortune) la production réalisée à l'atelier, et à l'identique. Et c'est très bien, vraiment de pouvoir vivre des fruits de son travail. Mais l'offense serait d'affirmer que la position de peintre, ou d'artiste, se définit par la multiplication des ventes.

Le propos ne consiste pas à dénigrer le délassement des uns à peindre, ou la quête d'une hygiène mentale des autres dans la peinture. Encore moins à mépriser le métier de peintre des derniers. L'idée serait plutôt de comprendre quelle chance, au travers de cette multitude (dans sa grande majorité davantage préoccupée par le goût commun, pour laquelle le public est le relais de "l'image" unique), la création picturale a-t-elle de ne pas intellectuellement et artistiquement se paupériser ? Car force est de constater que les diverses motivations (loisir, pis-aller, argent) ne dénotent que peu de conviction dans la noblesse de l'âme, le pouvoir créatif, le talent extraordinaire.

N'y aurait-il pas à espérer d'une peinture d'opinion (non pas de propagande) ? Figurative, abstraite, conceptuelle, n'importe ! Une peinture qui ne tirerait son essence - ou son expression - que dans la volonté chez le praticien de "travailler " un point de vue, une position intellectuelle, une idée à défendre, une manière de penser, un esthétisme personnel, un goût spécifique, une vision égocentrique… par le truchement de toutes les simplicités ou de toutes les hardiesses de formes, de couleurs, d'ambiances, n'importe ! Mais que cette peinture soit débordante de personnalité et de force réfléchie, d'imprévu et de tempérament. Et une peinture qui ne soit pas assujettie à quelque utilité, à quelque intérêt, à quelque excitation qui n'émanerait pas de la seule exigence picturale du peintre. Une peinture enfin libérée de la responsabilité d'entretenir son "maître". Puisque si il n'est pas exclu que tout peintre puisse un jour ou l'autre tirer revenus de ses œuvres, il n'est pas plus exclu que, plutôt que de vendre son âme, tout peintre peut décider de mener une double vie… une double activité… l'une rénumératrice, l'autre créatrice… n'est-ce pas là le prix de la liberté de création, de l'indépendance d'esprit ? Situation inconfortable, certes, mais provisoire à n'en pas douter, car de sa peinture vivante le peintre "amateur" fera tôt ou tard le délice de la parcelle du public féru de pureté, et le peintre recevra le gîte et le couvert de son œuvre.

Alors seulement il pourra se murmurer au grand jour que le travail d'un peintre n'est pas, ne doit pas être le moyen de sa subsistance, mais celui de son existence… et que l'expression picturale aura une conscience fertile.



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